Rétablissons quelques vérités qui apparemment dérangent, suite à l’article paru dans le Courrier Picard du 25 mai 2016 « Piétons, cyclistes, Alain Gest remet tout le monde à sa place », dans lequel les cyclistes d’Amiens ont été qualifiés de « 2% d’emmerdeurs » en référence à une étude menée précédemment sur le Grand Amiénois.
Premier élément : rectifions les chiffres. L’enquête de l’Agence d’urbanisme du Grand Amiénois menée en 2009-2010 sur le Pays du Grand Amiénois montre que :
⁃ 1 foyer sur 4 possède au moins un vélo (et de nombreux en possèdent plusieurs),
⁃ les pratiquants du vélo au moins deux fois par semaine sont 42 000. Ceux utilisant les bus 57 000. Pourtant on ne traite pas les usagers du bus d’enquiquineurs alors qu’ils ne sont seulement que 15 000 de plus (à comparer avec les 281 000 utilisateurs de la voiture plus de deux fois par semaine).
⁃ En 2010, les personnes déclarant utiliser un vélo quotidiennement sur le Grand Amiénois étaient 3% (et non 2 %), mais ce chiffre passe à 9% quand on considère également les personnes l’utilisant 2 fois par semaine, à 14% quand s’ajoutent ceux qui l’utilisent quelquefois dans le mois et enfin 30% avec les personnes l’utilisant exceptionnellement, on peut penser pour faire quelques balades du dimanche. Est-ce à dire que l’ensemble de ces personnes ne peut prétendre à des aménagements leur garantissant une sécurité suffisante pour circuler en ville ? De plus, la pratique du vélo ayant incidemment augmenté ces dernières années dans toutes les villes de France, en partie grâce d’ailleurs à de meilleurs aménagements, on peut raisonnablement penser qu’une enquête en 2016 montrerait des chiffres en progression.
⁃ Les utilisateurs du vélo majoritaires sont les très jeunes entre 5 et 17 ans, et les adultes entre 35 et 49 ans. Pour les premiers, il est compréhensible qu’ils soient les plus nombreux à utiliser leur vélo, n’ayant pas accès à d’autres modes de transport. Pour les seconds, cela correspond essentiellement à une démarche volontaire afin de se déplacer en mode doux et sportif. On traite donc d’emmerdeurs les plus jeunes d’entre nous et les plus vulnérables, ainsi qu’une partie de la population ayant à cœur de se déplacer sans polluer et/ou de manière sportive, ayant tendance à vivre et à consommer en centre urbain, sans doute parmi la plus attachée à un centre-ville de qualité.
⁃ Deuxième élément : la faiblesse de l’usage du vélo au quotidien a plusieurs raisons, et parmi elles, une des principales, la peur de faire du vélo en ville à cause de la circulation automobile. On tourne donc en rond. Plus il y a de voitures occupant l’espace, plus l’espace urbain est ressenti comme dangereux, moins il y a de vélos. En d’autres termes, moins on aménage la ville pour que le vélo y soit praticable en toute sécurité, moins il risque d’y avoir de vélos. CQFD : moins on aménage la ville, moins il y a de demande, moins il y a besoin de l’aménager !
– Troisième élément : éviter de monter les usagers de l’espace urbain les uns contre les autres s’avèrerait plus constructif. Le monde n’est pas binaire. Si certains, nombreux, ne font jamais de vélo, si certains, moins nombreux, ne conduisent jamais de voiture, beaucoup de gens utilisent les deux et il n’y a donc pas les cyclistes contre les automobilistes. Nous-mêmes, cyclistes quotidiens, pour la plupart, nous utilisons aussi une voiture, d’ailleurs de manière certainement plus prudente (une fois que vous avez fait du vélo en ville, vous comprenez le problème et ne roulez plus jamais comme avant). Avec de tels propos, on ne fait que renforcer la hargne que nous pouvons connaître au quotidien alors que nous sommes des gens comme les autres qui voulons juste nous déplacer en ville. Quel cycliste régulier ne s’est pas fait une fois copieusement insulté ou n’a pas été confronté à une réaction violente d’un automobiliste incompréhensif ? La rue est à tout le monde et pas seulement aux quatre-roues.
– Quatrième élément : les incivilités. Nous avons l’impression que notre statut de cyclistes nous met dans la position de délinquants. Les incivilités existent chez tous les usagers : qui n’a jamais traversé au feu piéton rouge ? Elles sont dans la plupart des cas mineures. Certains cyclistes peuvent mal se comporter, tout comme des automobilistes. Cela ne fait pas de tous des hors la loi. Des cyclistes renversent des piétons ? Sans doute et c’est tout à fait malheureux. Mais des voitures aussi et c’est en général plus grave. En outre, les cyclistes souvent confrontés à des piétons traversant une rue au dernier moment, sans regarder car ils n’entendent pas les vélos arriver ou ont des écouteurs sur les oreilles…
– Cinquième élément : l’agglomération d’Amiens n’aurait rien à gagner à un développement de l’usage du vélo ? Les villes d’aujourd’hui ont pourtant besoin de moins de pollution de l’air, de moins de bruit, de plus de tranquillité, de plus de place pour d’autres usages que le stationnement, en un mot d’être agréables à vivre. Le vélo participe grandement à tous ces besoins, ainsi que sa pratique peut être un facteur de santé pour une population souvent trop sédentaire. Les Danois sont sans doute des gens sous-développés, puisqu’à Copenhague, 45% des habitants font du vélo très régulièrement. Toutes les agglomérations dignes de ce nom en France s’aménagent aujourd’hui autour des transports collectifs et des modes de mobilité dits doux (vélo, à pied). Mais non Amiens, qu’on voudrait une « ville verte », une « ville à la campagne » ? Dans le concert des agglomérations européennes, Amiens voudrait se distinguer par son goût immodéré pour la voiture et sa méfiance pour les modes doux ?
En conclusion et sans surprise, nous affirmons qu’Amiens et sa région, que ce soit au niveau de la ville, de l’agglomération ou du pays, doit continuer à aménager son espace en faisant une place plus grande aux modes doux et notamment au vélo. Cela ne fera qu’améliorer le partage de la rue et de la route et permettre de gagner en sécurité pour tous. Les double-sens doivent être préservés (et notamment celui de la rue de la République qui est très utilisé) et développés en cas de besoin, l’urbanisme doit intégrer dans tous les cas des aménagements cyclables et dans le cas où ce n’est pas possible, développer les zones 30 et éviter de mettre vélos et piétons sur le même trottoir. Enfin une politique de sensibilisation des automobilistes à une meilleure attention aux modes doux devrait être réalisée.
Le collectif des « 2% d’emmerdeurs »